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La Voleuse du Père-Fauteuil

Publié par François Peneaud, le 20 juillet 2013.

Paru de 2002 à 2005 en trois albums chez Dargaud, puis sous forme d’intégrale en 2007[1], La Voleuse du Père-Fauteuil est un retour aux feuilletons du début du XXème, sur fond de lutte des classes — avec un petit ingrédient fantastique qui lui donne un piment certain.

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Ariane et l’Homme Mystère

Le scénariste Éric Omond et le dessinateur Yoann ont concocté un mélange des genres plutôt original : dans un pays imaginaire nommé le Navarin[2], Ariane, une naïve jeune femme de bonne famille, se trouve fascinée par l’Homme Mystère, un cambrioleur qui défraie la chronique. Son attirance pour l’inconnu la pousse à aller chercher des renseignements auprès d’un journaliste, André Valentin, étrangement bien informé et qui se révèle être Andrée, une garçonne plutôt méfiante. Déguisée en monte-en-l’air, Ariane rencontre son Homme Mystère, qui cache lui aussi sa vraie nature — celle d’un homme-animal. Bien malgré elle, Ariane va se retrouvée mêlée aux affrontements politiques du moment, entre modernistes et passéistes.

Sous une forme feuilletonesque, les aventures d’Ariane, qui suivent au premier abord la structure classique de l’innocent-e découvrant la réalité du monde, se révèlent petit à petit d’une complexité certaine. En plus du fait que nombre de personnages ont des secrets à cacher, Omond a pris garde à proposer la peinture d’une situation politico-sociale toute en nuances de gris, où les apparences de modernisme ne sont souvent qu’une pose intellectuelle d’aristocrates qui s’ennuient et où le positionnement de chacun peut évoluer au gré des circonstances. Il n’y a pas de héros dans cette histoire, mais plutôt des personnages plus ou moins sympathiques et qui s’engagent plus ou moins pour leur cause. Au cœur de la fiction, on reconnaît bien sûr des enjeux de l’époque réelle, comme par exemple le combat des suffragettes (ici appelées “urnettes”), ou celui des travailleurs pour des conditions de vie plus décentes.

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Ariane et Andrée

La place prise par le personnage d’Andrée, peu sympathique au début, est une bonne illustration du brassage de thèmes entrepris par les auteurs, qui montrent au premier abord une femme agressive de par la nécessité de cacher son lesbianisme. La relation sentimentale qui se développe avec Ariane, toujours amoureuse de son Homme Mystère, est un autre aspect de la complexité assumée par Omond et Yoann. Ariane découvre l’amour physique dans les bras à la fois d’un homme et d’une femme sans que cela ne soit présenté comme posant un problème particulier, à elle ou aux auteurs.

D’ailleurs, le seul problème que nous a posé cette BD réside dans l’usage narratif de la voix-off, omniprésente. Omond utilise cette outil pour montrer les commentaires d’Ariane sur l’action et son propre comportement, mais aussi pour inclure des bribes de dialogues poursuivis dans les cases. Autrement dit, cette voix-off s’adresse parfois au lecteur, parfois aux autres personnages. Le mélange de différents niveaux de status nous semble être de nature à causer une certaine confusion dans l’esprit du lecteur, sans que cela ait un intérêt pour le dispositif narratif.

Le dessinateur Yoann, quant à lui, réalise un très beau travail, à la fois lisible narrativement (les trois cases horizontales par page insufflent un rythme certain) et graphiquement dense, aussi à l’aise dans la peinture des salons où l’on cause que dans celui des scènes d’actions ou de sexe — sans parler des séquences situées dans les taudis des agitateurs ouvriers, que va un moment rejoindre Ariane. Les personnages sont d’une variété physique remarquable, à la limite de la caricature, du type reconnaissable, mais toujours dotés d’une vraie individualité.

Dans cette histoire de 140 pages, au long desquelles les auteurs prennent le temps de développer thèmes et personnages, le lesbianisme et sa place dans la société ne sont qu’un des sujets abordés, mais un sujet qui n’est pas mis en avant pour être ensuite oublié. Le personnage d’Andrée se révèle bien plus attachant qu’à ses débuts, comme d’ailleurs nombre de personnages, y compris celui d’Ariane, gentille greluche qui prend petit à petit sa vie en mains — le refus de la manipulation par autrui et le fait d’assumer sa nature et ses choix est d’ailleurs un des grands thèmes transversaux de cette histoire qui sera lue et relue avec profit.



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Notes :
  1. Merci à Fabrice Mayaud et David Wesel de BDGEst de nous avoir signalé l’existence de cette BD. []
  2. Imaginaire mais rappelant le Paris d’avant la Grande Guerre, tout comme le pays ennemi, la Bolonie, a de francs aspects prussiens. []
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