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Les Chroniques mauves

Publié par François Peneaud, le 10 mars 2013.

Les fresques historiques en bande dessinée sont maintenant monnaie courante. Mais les sujets abordés concernent surtout la grande histoire, celle qui remplit les manuels scolaires. L’album Les Chroniques Mauves[1] s’intéresse lui à une minorité en donnant à voir plus d’un demi-siècle d’histoire lesbienne, d’histoires de lesbiennes. Écrite par Catherine Feunteun et dessinée par Soizick Jaffré, CAB, Carole Maurel, La Grande Alice et Louise Mars, cette saga suit la vie de plusieurs femmes, entre militantisme et découverte de soi, entre liens familiaux distendus et ami-e-s indéfectibles.

Deux générations sont mises en avant : celle de Christiane, née en 1950, et celle de Fanny, née en 1974.
On suit donc la vie de Christiane — ou plutôt, “Chris” — depuis l’enfance en Bretagne, dans une famille aimante de marins-pêcheurs, jusqu’aux débuts d’une retraite bien méritée, après une carrière de prof de gym et une longue histoire de militantisme féministe puis lesbien.
Quant à Fanny, mise au monde par des parents hippies sur le plateau du Larzac, elle suivra un chemin bien différent, passant par le monde de la nuit parisien pour devenir maman avec l’aide d’un ami homo et montrant une certaine méfiance envers le militantisme de ses aînées.
Catherine Feunteun a choisi de raconter des vies que l’on pourrait voir comme des clichés, depuis celui de la prof de gym jusqu’à celui de l’enfant né grâce à la collaboration d’un homme et d’une femme homos. Mais en dehors du fait que ces possibles clichés recouvrent des réalités, Feunteun écrit de vrais personnages, que l’on a plaisir à suivre à travers les décennies, personnages qui rendent palpables et vivants cinquante ans de changements de société. Car Chris est de plusieurs groupes militants et en croise quelques autres, comme les Gazolines ou les Gouines Rouges, et bien sûr le MLF et le FHAR, les deux mamelles des mouvements LGBT. Suivre le parcours de Chris et de ses ami-e-s pourra servir d’introduction à celles et ceux qui auraient envie d’en apprendre plus sur ces mouvements militants, alors très minoritaires mais en phase avec leur époque.
L’évolution de la peinture des relations amoureuses et sexuelles de toutes ces femmes est elle aussi riche d’enseignements, quand l’opposition aux ébats des hommes du FHAR se mue au fil des années et des générations en une liberté que s’accordent ces femmes, loin du regard de la société majoritaire et en particulier de celui des hommes.
Les thèmes abordés tout du long de l’album ne concernent d’ailleurs pas que les femmes lesbiennes, puisque le SIDA est bien présent, tout comme quelques-unes des questions spécifiques aux personnes trans, à travers le beau personnage de Camille/Cameron qui se découvre et se trouve, lui, plus à l’aise en homme qu’en femme.

Mais tout ceci ne ferait pas une bonne bande dessinée sans les dessinatrices — chaque chapitre est illustré entièrement par l’une d’elles. Voici quelques exemples du travail des cinq artistes :

mauves01

Soizick Jaffré, 1971.
Chris et ses amies.
mauves02

La Grande Alice, 1983.
Chris et un ami homo.
mauves03

CAB, 1995.
Les Drag Kings débarquent en France.
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Louise Mars, 1998. Fanny en DJ.
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Carole Maurel, 2004. Fanny est très cool.

On le voit, le classique côtoie l’expérimental, pour des styles aussi variés narrativement que graphiquement. Cela crée une richesse visuelle qui complète l’étendue thématique et humain du scénario : à périodes différentes, images de soi différentes et rendus différents. Ce que l’on peut parfois perdre en continuité du physique des personnages est largement compensé par le plaisir de la diversité des graphismes.

Les Chroniques mauves est une vraie réussite, à tous points de vue, où la maîtrise du scénario et l’aspect anthologique des graphismes se conjuguent pour une expérience de lecture que l’on rencontre plus souvent dans les comics indépendants que dans la BD francophone. Nul doute que les lectrices lesbiennes y trouveront à la fois un miroir et une porte ouverte sur leur histoire, souvent occultée par la présence artistique et médiatique des gays. On ne peut donc souhaiter qu’une chose : que les auteures de cet album se retrouvent vite pour un autre projet.



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Notes :
  1. Cet album auto-publié de 220 pages est disponible sur le site des auteures (sur papier ou en ligne), ou entre autres à la librairie Les Mots à la bouche. []
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