BD sur LGBT BD


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(12 oct)


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(27 juil)



Chronique : Hugues Barthe dans son œuvre

Auteur(s) : Hugues Barthe.

Né en 1965, Hugues Barthe a étudié la bande dessinée à l’école d’Angoulême et participé activement au fanzine gay et lesbien Hercule et la Toison d’Or.

Jean-François Fait de la résistance

Jean-François Fait de la résistance

Son premier livre, Jean-François fait de la résistance (La Comédie Illustrée, 2004) racontait l’histoire d’un jeune gay provincial monté à Paris pour y vivre sa vie qui découvre que ce n’est pas si facile, surtout pour quelqu’un d’aussi velléitaire que lui. L’humour est délicieusement amer et cruel, très drôle d’une manière un peu triste, et le dessin plutôt simple. La plupart des autres livres de Barthe utiliseront les mêmes thèmes avec un dessin plus poussé.

Miss Come Back

Miss Come Back

Le deuxième livre, Miss Come Back (Le Cycliste, 2006), sort du lot. C’est une comédie dans laquelle une chanteuse has been sur le retour utilise son fils gay pour relancer sa carrière (car elle connaît son public…).Dessinée par Caro, une dessinatrice au style fort et expressif, cette farce est pour moi une réussite totale traitant sans lourdeur de nombreux thèmes sérieux comme les relations parents/enfants, les stéréotypes de la culture gay (évidemment, nous adorons tous les chanteuses de variétés), les relations inter-culturelles (le fils a un petit ami arabe qui ne veut pas que sa famille sache qu’il est gay). Miss Come Back est à la fois intelligent et distrayant.

Le Petit Lulu

Le Petit Lulu

Avec Le Petit Lulu (Les Requins Marteaux, 2006), Barthe recommence à décrire la vie de (certains) gays français, cette fois, semble-t-il, avec une forte composante autobiographique. Le narrateur s’appelle Hugues et vit dans une petite ville qui possède sa vie gay secrète. Il a la petite vingtaine, travaille dans une librairie et a une relation intermittente avec un garçon bizarre nommé Lulu. Les quatre-vingt-dix pages du livre couvrent plusieurs années de la vie du narrateur, avec une structure riche en flash-backs, ce qui permet à l’auteur de présenter progressivement ses thèmes principaux : Lulu est le premier amour d’Hugues, le travail à la librairie son premier emploi, et à ces étapes du passage à l’âge adulte vient s’en ajouter une autre qui a sans doute sur lui l’effet le plus fort, la lente agonie de sa mère. Avec ce livre, Barthe écrit ce qui est à mon avis son œuvre la plus forte. La narration solide et le graphisme plus assuré, influencé par celui de David B., lui permettent de raconter une histoire plus adulte sans larmoyer ni s’apitoyer sur son sort.

Dans La Peau d\'un jeune homo

Dans La Peau d’un jeune homo

Les deux livres les plus récents de Barthe - Dans La Peau d’un jeune homo (2007) et Bienvenue Dans Le Marais (juin 2008) - sont sortis dans la collection de romans graphiques des éditions Hachette. Ils suivent la vie d’Hugo, un jeune gay, adolescent puis jeune adulte, refusant d’abord puis acceptant son homosexualité, vivant dans une petite ville (oui, encore) avant de monter à Paris. Cette fois, le projet de l’auteur est ouvertement militant : Dans la peau d’un jeune homo se veut une sorte de guide pour les jeunes gays et leurs familles, et présente les nombreuses étapes par lesquelles nous sommes tous passés en espérant éviter à toutes les personnes concernées les angoisses que les jeunes gays doivent souvent combattre. L’ouvrage est fortement pédagogique, même si Barthe n’oublie jamais de raconter une histoire (explicitement inspirée de la sienne et de celle de son compagnon). Ainsi, à l’adolescence, Hugo s’invente un ami imaginaire ouvertement gay avec lequel il « parle » de choses importantes d’une manière humoristique qui exprime pas mal des doutes que le héros a par rapport à lui-même. Une partie non négligeable du livre a lieu dans la tête d’Hugo : de ce qu’il aurait pu faire avec un mec mignon dans sa classe sans jamais l’oser, à son dialogue avec un gay des années 1950 semblant sorti de chez Proust (et dont on peut sans risque penser que l’anachronisme est voulu) qui lui montre, ainsi qu’au lecteur, le chemin parcouru depuis son époque, en passant par les remarques gentiment ironiques de la voix off qui le poussent sur le chemin de l’acceptation de soi. Entre 14 et 16 ans, Hugo fait de grandes avancées dans cette direction, depuis ses premières masturbations furtives jusqu’à la rencontre de son premier amant dans une scène merveilleuse aussi libre de culpabilité que le personnage en est capable. Sans aucun doute, Dans la peau d’un jeune homo est un livre à message, et il nous faut des livres de ce genre que les collèges et lycées peuvent mettre dans leurs bibliothèques.

Bienvenue dans le Marais poursuit dans cette veine mais sur un ton différent, Hugo étant à présent un jeune adulte qui quitte sa famille pour suivre une école d’art à Paris… à moins que ce ne soit pour partager un appartement dans le Marais avec Manu, son cousin, qui est devenu l’archétype du jeune gay mignon et branché. Le livre est moins pédagogique que son prédécesseur et davantage documentaire, m’a-t-il semblé, et aussi bien plus explicite sexuellement parlant. Après tout, Barthe déclare qu’une fois de plus, son histoire est une fiction inspirée de gens et de faits réels. Nous voyons des hommes au sauna, draguant et parlant de leurs rencontres, allant dans les bars et généralement profitant de la vie gaie de la grande ville. La relation entre Hugo et Manu est intéressante : au début, Manu est une sorte de grand frère pour Hugo, un modèle à imiter ; mais petit à petit, Hugo commence à avoir des doutes sur le mode de vie de Manu, sur ce qu’il veut pour lui-même. Si Manu permet à l’auteur de donner son point de vue sur certains aspects de la vie gaie urbaine qui ne sont pas si admirables, comme le refus de penser au Sida, il reste un personnage complet, avec ses qualités et ses défauts. La même chose est vraie pour Hugo, qui n’acquiert pas la sagesse dans le courant du livre. Il n’est simplement plus au même endroit à la fin qu’au début, dans tous les sens du terme.

Dans ces deux ouvrages, Barthe utilise un graphisme plus enlevé que dans Le Petit Lulu, leur donnant une immédiateté que Lulu n’avait pas - ce qui n’est pas une critique, puisque, comme je l’ai écrit, je considère Lulu comme l’œuvre la plus forte de Barthe. Il est toujours intéressant de voir un artiste utiliser des styles différents, et ces deux livres, si proches de la vie courante, pourront trouver leur place sur les étagères de beaucoup de gays.

En l’espace de quatre ans, Hugues Barthe a mis en place une œuvre unique dans le domaine de la BD franco-belge. Il travaillerait actuellement sur une suite au Petit Lulu.