Kari et Ruth s’aimaient. Mais Ruth se jette d’un toit, Kari la suivant de peu.
Ce qui aurait pu être la fin d’une histoire n’en est en fait que le début. Car elles survivent toutes les deux. Leur couple, lui, est bel et bien fini. Ruth quitte la ville, laissant Kari recoller les morceaux de sa vie.
Le récent album d’Amruta Patil, qui signe ici son premier long travail, suit la vie quotidienne de Kari, nous dévoilant avec un humour assez noir quelques éléments de sa relation avec Ruth, tout en se concentrant sur le présent et les gens qui l’entourent.
La dynamique des relations entre les personnages pourrait être transposée dans n’importe quelle métropole occidentale contemporaine : Kari n’a pas de problème particulier avec le fait d’être ouvertement lesbienne (et plutôt butch), travaille dans une agence de pub, et profite de la vie dans la grande ville. Autour d’elle gravitent ses colocataires (trois jeunes femmes, plus deux petits amis qui s’incrustent, dans un trois pièces…), ses collègues, dont Angel, une femme mourant lentement d’un cancer, à qui elle s’attache, pour des raisons peut-être moins claires qu’il n’y paraît au premier abord.
Les spécificités de la vie indienne sont cependant bien là : l’auteure nous donne à voir l’étendue tentaculaire de la ville, l’exiguïté des logements, les inondations, les couleurs délavées des vêtements de tous les jours, les très colorées fêtes religieuses, le poids des traditions, la relative liberté de la ville.
Tout cela est présenté dans un mélange de quotidien et de poésie, sans mièvrerie, sans misérabilisme non plus. Son noir et blanc, entrecoupé de cases en couleurs éclatantes, est à la fois sobre et expressif, puisant de temps en temps dans la tradition picturale occidentale, comme pour une superbe case en couleurs présentant les colocataires dans une composition tirée de La Cène de Léonard de Vinci. La narration est elle aussi sobre, laissant la place à d’importants pavés de textes. Les pages de Patil sont d’ailleurs parfois lourdes de textes, et l’on aurait parfois envie qu’elle ait plus confiance en ses talents d’illustratrice.
Kari est un album plus que prometteur, et l’on espère rencontrer à nouveau cette auteure naissante, qui travaille déjà sur d’ambitieux projets liés à la mythologie indienne.