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Chronique : Peindre sur le rivage

Auteur(s) : Anneli Furmark.

La recherche de soi est un thème cher à toutes les littératures, et la bande dessinée ne fait pas exception. Peindre sur le rivage, premier album traduit en français de l’auteure suédoise Anneli Furmark[1], s’inscrit donc dans une tradition bien ancrée, en mêlant errances amoureuses et flottements artistiques.

La structure narrative est simple mais efficace : du haut de sa quarantaine, Helen revient sur des journaux intimes de jeunesse où amours et ambitions artistiques se partagent les pages (mais pas à parts égales….), écrits pendant un séjour d’un an dans une école d’art d’une petite ville côtière du nord du pays. On ne rencontre la femme de la quarantaine que dans le prologue et l’épilogue, le reste de l’album étant consacré à cette année découpée en chapitres mensuels, de septembre 1990 à juin 1991.

On suit donc Helen dans sa rencontre avec les autres élèves de l’école, tous des adultes, jeunes et moins jeunes, et en particulier avec Irène, une jeune femme avec qui elle va rapidement se lier d’amitié. Irène semble pour Helen un idéal : fonçant tête baissée dans ses projets artistiques, souvent très tendance, alors que Helen n’est pas sûre de grand chose, si ce n’est qu’elle veut faire de l’art. Peinture figurative ? Abstraite ? Portraits, paysages ? Le récit est ponctué de références à divers artistes contemporains, alors que les soubresauts de l’actualité ne sont qu’effleurés (nous sommes pourtant dans la période de la deuxième guerre du Golfe et de la tristement célèbre opération Tempête du désert).

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Helen et Irène

Il faut dire que Helen à fort à faire avec ses problèmes personnels. Car cette année est pour elle celle des relations amoureuses incertaines : se remettant avec grande difficulté de la rupture avec un homme, elle entame une liaison sans avenir avec un peintre marié venu dispenser quelques cours, alors qu’Irène et elle se tournent autour pendant un moment pour finir par tomber dans les bras l’une de l’autre. Ces amours lesbiennes sont parfaitement intégrées au questionnement continuel de la jeune femme, mais il ne nous semble pas qu’elles soient présentées comme une “erreur” de jeunesse, comme on aurait pu le craindre étant donné le portrait dressé par l’auteur de son personnage. Elles sont plutôt une preuve supplémentaire du peu de souci de la part d’Helen pour les personnes qui l’entourent, perdue comme elle l’est dans ses incertitudes. La présence du personnage d’Irène, forcément en retrait par rapport à celui d’Helen étant donnée la structure du récit, évitera d’ailleurs à l’album de ne présenter qu’un énième exemple de lesbienne pour un jour.

La structure narrative apporte par ailleurs une certaine distanciation, temporelle pour le personnage principal, émotionnelle pour le lecteur. Ce qui ne signifie pas que l’on ressente une impression de froideur, loin de là. Le lecteur est simplement conscient qu’il ne sait pas tout, et cela aide à ne pas juger les comportements des personnages, mais bien à simplement les observer, mi-amusé, mi-touché.

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Deux paysages

Si le questionnement des personnages en devenir passe par leurs amours, il passe aussi par leur travail plastique, et bien sûr par celui de l’auteur. Le prologue et l’épilogue sont entièrement en noir et blanc, alors que le cœur du récit est lui principalement dans un mélange de noir et blanc (ou plus exactement de nuances de gris) pour les personnages et de couleurs, souvent chaudes, pour les décors et les paysages. Le mélange de techniques utilisées est du plus bel effet, et les paysages qui parsèment l’album, parfois à la limite de l’art abstrait, sont d’une grande force expressive. On penserait presque au travail d’August Strindberg, grand paysagiste suédois de la fin du XIXe.

On espère donc que Peindre sur le rivage ne sera pas le dernier ouvrage d’Anneli Furmark traduit en français. La tendresse dont elle fait preuve pour ses personnages en quête de certitudes n’a d’égal que la finesse de ses dessins et peintures.



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Notes :
  1. On pourra se demander pourquoi l’édition française est une traduction d’une version anglaise, et non de la version originale suédoise, intitulée Fiskarna i havet, “Les poissons dans la mer”, parue en 2010 en Suède.
    Quelques histoires de cette auteure ont déjà été traduites en anglais dans des anthologies, dont Inland, une belle histoire mettant en scène un couple d’hommes allant rendre visite aux parents de l’un deux. []
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