BD sur LGBT BD


Grace 07

(12 oct)


Grace 06

(5 oct)


Grace 05

(28 sept)


Grace 04

(21 sept)


Grace 03

(27 juil)



Chronique : Tango

Auteur(s) : Est Em.

J’annonce directement la couleur : Tango est pour moi la meilleure sortie yaoi française. Je parle de yaoi parce qu’il est catégorisé comme tel. Mais mise à part le fait qu’il traite de relations entre hommes (pas forcément amoureuses), il n’obéit pas foncièrement aux codes classiques de son genre.
Premières constatations : les hommes ressemblent à des hommes et non pas à des bishônen. Nous sommes loin des histoires « shôjoïsantes » ou intrigues sans intérêt dont le seul but serait de mettre en avant des scènes sexuelles. Tango en comporte peu mais va bien au-delà. Si Le Jardin de Lierre manquait de profondeur malgré la présence de sexe bien explicite, Tango, lui, est plutôt le contraire. Plus que du « voyeurisme », de la « légèreté » ou de l’« excitation », c’est une réflexion et un esthétisme qu’il propose.

Esthétisme graphique tout d’abord, puisqu’Est Em possède un trait très élégant et une empreinte particulière. Ses visages émaciés, ses corps tout en énergie surprennent et ravissent le lecteur peu habitué à ce type de dessins. Et surtout, on admire et on ressent la brutalité tout en grâce d’un danseur mise en avant par les drapés mais aussi par le dessin de son anatomie. Il n’est pas donné à tout le monde d’arriver à exprimer la violence, la force d’un mouvement et en même temps sa fluidité et sa sensualité. Les amateurs de danse s’y retrouveront certainement !

Esthétisme culturel aussi au vu de sa diversité au sein de quatre de ses nouvelles. En effet, Lever de rideau (et sa suite) aborde le monde hollywoodien par son intrigue, ainsi que la passion latine, à travers le fameux opéra Carmen. Le charme de la France, de ses quartiers culturels connus pour abriter ou avoir abrité de nombreux artistes de tous horizons ressort avec force dans Café Cigarette, tandis que l’Angleterre, son style rétro-rigide et son passif/présent musical punk Rock transpirent à travers Néro et Rockin’ in my Head. Enfin, Des Cigales le long d’une route d’été termine avec brio cet opus et nous plonge dans un Japon sachant encore mélanger avec harmonie le folklore traditionnel et la modernité. Est Em nous propose ici un panel culturel, version japonaise, des plus intéressants.

Elle n’en oublie pas pour autant de traiter de sujets universels tels que l’art et les relations humaines. Que ce soit à travers la danse, le jeu d’acteur, la peinture ou la musique, c’est toute une réflexion sur l’art, sa recherche de perfectionnisme et ses paradoxes que la mangaka nous propose ici. Elle s’intéresse aux artistes, à leurs sensibilités, à leurs capacités d’expression de joies, de peurs ou souffrances à travers leur art. Elle met en évidence la possible fragilité de ces êtres mais aussi leur force affective et leur intransigeance. Certains personnages n’arrivent plus à s’exprimer à travers leur art pour des raisons diverses. En souffrance et pourtant incapable de s’exprimer autrement, la déprime ou la colère les guette. Et c’est alors l’arrivée ou la rencontre d’une autre personne qui par son amour ou son intérêt pour le personnage va lui redonner confiance ou tout simplement le forcer à affronter ses propres sentiments et ainsi retrouver ses capacités d’empathie et son intelligence affective.

Il y aurait plein d’autres éléments à mettre en avant, d’autant plus que la narration elliptique de ce manga et ses éléments implicites forcent la réflexion et l’imagination de son lecteur. Tango est un manga pouvant toucher n’importe quel type de lecteur, même les plus réfractaires au yaoi ou au shôjo. Les Éditions H nous avait promis une lignée éditoriale différente et plus mature. Avec cet opus d’une grande sensibilité, il nous l’apporte sur un plateau d’argent.