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Chronique : Au Temps de l’amour

Auteur(s) : Ebine Yamaji.

Comme promis, nous revenons sur le travail de l’auteure japonaise Ebine Yamaji avec son tout nouvel album, Au Temps de l’amour, paru aux éditions Asuka. Ce nouvel opus de 320 pages marque une forte rupture avec les cinq albums parus en France entre 2004 et 2005. Aussi bien dans les personnages - pas de lesbienne cette fois-ci - que dans les thèmes abordés, beaucoup plus durs que d’habitude. Mais la maîtrise narrative et psychologique est toujours bien là.

Shiori Kawakami est une étudiante en art bien timide, dont le chemin croise celui de Seiji Kageyama, un autre étudiant en histoire de l’art un peu plus âgé, l’air sombre, peu communicatif. Et évidemment, celui-ci lui tape dans l’œil. Début d’une bluette ? Pas vraiment. Faisons confiance à Ebine Yamaji.
Shiori apprend rapidement que Seiji est homo, et que son petit ami a été assassiné quelques années auparavant. Shiori est quant à elle victime d’un viol, Kageyama la trouvant juste après, trop tard pour la secourir. Le lien qui se forme entre eux est alors d’une asymétrie tout à fait fascinante : Shiori est amoureuse d’un homme qui ne semble pas pouvoir lui retourner ses sentiments mais cherche quand même à s’en rapprocher, alors que Kageyama, à sa façon maladroite et obtuse, cherche à aider la jeune femme à surmonter son traumatisme.
Autour d’eux gravitent plusieurs personnages qui enrichissent considérablement à la fois l’intrigue et les personnages : un très bon copain de Shiori est amoureux d’elle et va l’entraîner dans une relation peu équilibrée ; un peintre d’âge mûr, pour qui Seiji a jadis posé et qui a lui aussi connu un fort traumatisme, se prend d’affection pour Shiori quand il se rend compte de l’influence bénéfique qu’elle exerce sur un Seiji encore sous l’emprise de la mort de son petit ami.

La lecture de cet album donne l’impression d’une plus grande densité par page que dans les albums précédents. Le format plus petit y est bien sûr pour quelque chose, mais on peut aussi constater que Ebine Yamaji propose plus de décors dans ses planches et semble ne conserver ces cases presque vides, que n’occupent qu’une figure ou deux, que pour renforcer l’aspect psychologique de certains moments. Le trait est d’une grande finesse et nous semble rapprocher le style de l’auteure du travail d’un Jiro Taniguchi.

On voit donc que l’auteure a choisi de présenter les relations entre plusieurs personnages qui ont chacun subi un grave traumatisme. Il est également très intéressant de voir comment elle réussit à combiner des éléments de mélodrame (l’assassin du petit ami de Seiji revient même pour le tourmenter !) et un grand réalisme psychologique. Le choix de raconter cette histoire du point de vue de Shiori permet de dévoiler doucement un personnage comme celui de Seiji, qui aurait toutes les raisons de rester enfermé dans son traumatisme, mais qui s’ouvre petit à petit de nouveau aux autres. On peut remarquer aussi que ces personnages forment une sorte de famille recomposée qui rappelle l’idée que défendent nombre d’auteurs occidentaux homos de la possibilité - de la nécessité -  de se construire une famille d’élection à côté, malheureusement parfois en remplacement, de celle de sang.

Si l’art, pratiqué ou analysé, est aussi présent dans cet album que dans les précédents, il semble moins servir de métaphore pour les états intérieurs des personnages. Shiori, Seiji et les autres sont bien plutôt obligés de construire leur vie en réaction aux événements tragiques qui les ont marqués, et la complexité de ces personnages, ainsi que leur détermination, est à mettre au crédit d’une auteure qui continue à nous surprendre.